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M. H. Erickson (1901-1980).

L’homme.

      Milton Hyland Erickson est né le 5 décembre 1901 dans une maison de trois murs de planches et la montagne pour quatrième, à Aurum, village formé autour d'une mine d'or dans le Névada. Ses parents retourneront dans le Wisconsin après leur non-fortune. Ils seront alors de tranquilles fermiers.

      Daltonien, sourd aux rythmes musicaux, dyslexique, Milton tirera bénéfice de ces handicaps dans son élaboration de l'être humain, notamment par le parcours incessant du dictionnaire qui lui permet de comprendre les différents sens des mots. Curieux de ses différences, il commence une longue phase d'observation des phénomènes qui l'entourent (la nature, les comportements humains... Il observe notamment sa sœur apprendre à marcher sur une durée de six mois. Ceci lui permet de conscientiser tous les mouvements de l’apprentissage de la marche).

      A 17 ans, il est paralysé par la poliomyélite (atteinte virale des cornes antérieures de la moelle épinière : noyaux des nerfs moteurs). Au dire des médecins, “il ne passera pas la nuit”. S'en suit un coma de trois jours après avoir épuisé l'énergie de sa mère dans le réaménagement des meubles de la chambre afin d'anesthésier son anxiété. Bilan : paralysie motrice totale.

      Comme tous les polios sortant de la phase aiguë, il est pressé de se réapproprier son corps, muscle par muscle. Un jour qu'il eut envie de regarder le paysage, l'image fugitive du geste de tourner la tête vers la fenêtre lui vint à l'esprit ; une simple représentation mentale du mouvement, et le rocking-chair sur lequel il était installé se mit à bouger légèrement. Il existait donc un passage direct entre la représentation mentale et la motricité (l’idéodynamisme déjà mise à our par Bernheim & Liébeault), transmission qui se produit d'autant plus facilement que l'attention est focalisé.

      L’observation de sa sœur apprenant à marcher, la conscientisation de chacun de ses muscles sont les principes de sa rééducation qu'il termine par un raid de 500 km en canoë et en solitaire. Si Milton ramait correctement, il n'avait pas assez de force pour tirer son canoë sur la berge ou pour traverser les passages non navigables. Il se fait ainsi aider par les rencontres sans jamais demander directement (base de la communication indirecte). Manifestant un comportement tellement sympathique (théorie de l'intimité), on venait l'aider spontanément (les personnes adorent rendre service, suffit de leur en donner l'occasion). Il rentre de ce périple bien remusclé et ne garde pour séquelle qu'une légère boiterie.

      Il commence alors sa deuxième année de médecine à l'université du Wisconsin. Pour la payer il est pigiste. Ne sont rémunérées que les piges publiées. Il résout cela à sa manière : dormir trois heures, se réveiller vers une heure du matin, taper un article en double, se recoucher sans relire, donner l'article le lendemain matin. Les doubles lui permettent de reconnaître certains articles signés de son nom !!! Sans le savoir, il fait déjà de l'autohypnose avec l'écriture automatique. Il recommandera l'autohypnose dès que la créativité se bloque, dès que l'esprit conscient s'embrouille, dépassé par une tâche qu'il ne maîtrise pas (impuissance, vulnérabilité).

      Il va bientôt entrer dans le monde scientifique où les débats d'idée ne sont bien souvent que des manières d'affirmer leur pouvoir de la part des groupes dominants (Cf. Pierre Bourdieu, Herbert Marcuse). Il rencontre Clark L. Hull qui conduisait des séminaires sur l'hypnose (1923-1924) qui devient son professeur. Le désaccord grandit entre le maître et l'élève. Hull veut mettre au point une procédure standardisée d'hypnose, applicable à tous les êtres humains. Erickson démontre que c'est impossible, l'hypnose exprimant l'individualité de chaque personne et doit donc s'adapter à cette singularité à chaque séance. Or ce dernier fait partit du groupe dominé, il s'efface.

      Il finit ses études en 1928, fait son internat en psychiatrie, décroche une maîtrise en psychologie, se marie et a trois enfants avant de divorcer dix ans plus tard.

     On lui interdit l'hypnose dans les différents services où il est précédé de sa réputation. Il cont ourne l'interdit par la mise au point de technique de communications indirectes inspirées de l'hypnose mais sans son allure.

  • Exemple : face à un schizophrène catatonique (mutique et figé) déployant un néo-langage après le “bonjour”, il prend en note cette salade de mots, y découvre une syntaxe et un vocabulaire, retient la syntaxe et construit un autre néo-vocabulaire, le sien. Les “discussions” en néo-langage, chaque jour, passent de l'étonnement au supplice pour le patient. Ce dernier finit par glisser une puis plusieurs phrases en clair au milieu de son galimatias, auquel Erickson répond en clair au milieu du sien propre. Les discours en clair progressent si bien qu'au bout de quelques mois, le patient peut quitter l'hôpital. Ce patient enverra plus tard une carte postale sur laquelle il écrira : “ N'est-ce pas, docteur Erickson, qu'un peu de non-sens dans la vie ne fait pas de mal ? ” Erickson a accepté et utilisé le comportement du patient.

      En clinicien, il a appris à rechercher les symptômes, à les regrouper en syndromes, à porter un diagnostic et à évaluer un pronostic. Toute sa vie, il tiendra ce labeur en haute estime. Grand lecteur de Freud, il le considère comme un génie dans la compréhension des phénomènes psychique, non en ce qui la thérapeutique.

     A 33 ans, il rejoint le Wayne County Hospital dans le Michigan où il rencontre une psychologue merveilleuse, Elizabeth Moore, avec qui il aura cinq enfants. Ils élèveront ensemble les huits enfants (Erickson ayant obtenu la garde de ses trois premiers lors de son divorce). Il devient aussi enseignant, chercheur et clinicien. Il peut surtout réaliser son rêve de recherche sur l'hypnose et dispose pour ce faire d'un laboratoire qu’il dirige. La langue de ses articles est claire. Durant la guerre le couple Erickson devient ami de celui formé par les ethnologues Margaret Mead et Gregory Bateson.

      A 47 ans, pour cause de santé, il doit quitter le Michigan, son laboratoire et ses recherches pour s'installer sous un climat chaud et sec. Un ami lui propose un poste dans le petit hôpital d'une modeste ville : Phoenix dans le désert de l'Arizona. Or les conditions de travail ne lui permettent pas de poursuivre ses recherches. Il change radicalement et s'installe en libéral.

     C'est un bien pauvre cabinet qu'il ouvre dans sa maison de Cypress street. La maison est trop petite pour disposer d'une salle d'attente. Les patients se trouvent donc au salon au milieu de la vie et des enfants de la maison. Les enfants n'avaient pas le droit d'initier une interaction avec les patients, chose qu’ils firent néanmoins de temps en temps.

      En 1953, il subit une nouvelle attaque de poliomyélite (en fait syndrome post polio) qui lui fait perdre progressivement l'usage de ses deux jambes et d'un bras. Il sera contraint à la chaise roulante jusqu'à sa mort. Ses capacités phonatoires diminuent elles aussi. Il en résulte une simplification maximale des techniques. A ces étudiants en hypnose, déjà, il demandait d'écrire un script de 40 pages de l'induction d'un état d'hypnotique ; de le relire et de le réduire à 20, puis 10, 5, 2 et moins d'une page.

     Après Jay Halley, envoyé de G. Bateson, Ernest Rossi (Jungien), Sydney Rosen (Freudien), John Weakland et Jeffrey Zeig seront les organisateurs de la pratique de Milton Hyland Erickson qui meurt le 25 mars 1980 peu avant le premier congrès dédié à son approche. Ce sont aussi ces personnes qui organisent et instituent le MRI (Mental Resaearch Institute) avec Paul Watzlawick, Don D. Jackson... plus connu sous le nom d'école de Palo Alto. De cette mouvance apparaissent les thérapies brèves et la thérapie systémique.

Le thérapeute.

      La pensée qu'il met en place sur la base de “l'observation - action” : “prêt, feu, visez” ne constitue pas une théorie mais une pragmatique radicale (Cf. Carl R. Rogers) qui lui a valu de nombreuses critiques des plus savant que lui. Sa démarche est simple. Pour lui :

  • le but de la thérapie est le changement

  • le thérapeute est là pour aider le patient à changer par lui-même

  • chaque patient est unique

  • c'est au thérapeute de s'adapter au patient et non l'inverse.

    Les mots sont les outils du thérapeute. Comme “on ne peut pas ne pas communiquer” (Watzlawick), la première tâche du thérapeute est d'apprendre à communiquer correctement.

      Epistémologiquement, la démarche éricksonienne, comme celle de la médecine, est au plus proche du sujet : on observe comment c'est, puis comment ça marche ; seulement alors devient-on capable de voir ce qui est détraqué et qu'est-ce qu'on peut faire pour que ça re-marche. "Ancré dans les certitudes de leur caste, les professionnels classiques de la psychopathologie résistent à cette révolution encore aujourd'hui" (Megglé, 1998, p. 43). Il est donc judicieux de concevoir l'être humain avant de le bricoler...

      Notre conception de l'état hypnotique est très différente de celle des anglo-saxon qui voient un état modifié de la conscience, quelque chose qui est, qui existe,  quelque chose de statique? Nous nous rapprochons plus de la conception américaine qui conçoit un processus dynamique, interactif en constante évolution au grès de la communication, quelque chose qui est en train de se dérouler, une action.

     Par ces expériences en recherche psychophysiologique (Michigan) il confirme ses hypothèses de départ sur la nature de l'hypnose et pause les bases de sa thérapeutique :

  • L'activation des potentialités latentes est naturelle.

  • L'hypnose est naturelle et l'effet d’hyper-suggestibilité est un mythe.

  • Aucun échange interhumain fructueux ne peut avoir lieu sans le préalable d'un respect réciproque.

  • Il existe un passage direct entre la représentation mentale et la motricité, transmission qui se produit d'autant plus facilement que l'attention est focalisé : l’idéodynamisme.

  • La résistance à l'hypnose : “Quand vous appliquez un protocole d'hypnose sur une grande série de sujets et que celui-ci est inefficace chez 30% d'entre eux, vous concluez que 30% des sujets sont résistant à l'hypnose. Vous vous trompez. La vérité est que 30% des sujets sont résistant à votre protocole ; en définitive, vous n'avez pas mesuré la résistance de la population étudiée à l'hypnose ; vous n'avez mesuré que votre protocole, c'est à dire rien du tout ; vous n'avez pas touché le phénomène mais une création artificielle de votre esprit ; c'est votre esprit qui n'a pas saisi au moins 30% de l'hypnose et vous ne parviendrez à réduire ce "résidu incompréhensible" de sujet que vous qualifiez de "résistant" à l'hypnose qu'en revoyant complètement la prémisse de votre recherche. Commencez par respecter l'individualité de chacun ” ...

  • La singularité de chaque patient : “Je ne traite pas une statistique, mais un malade qui a sa sensibilité propre aux différentes drogues. Pour le guérir je dois connaître mes médicaments (utilité des protocoles) et surtout mon malade (utilité de les dépasser)” (Megglé, 1998, p.35).

  • La personne ne peut s'expliquer sans son contexte, elle est relationnelle. Il est le premier à mener des entretiens conjugaux et familiaux (Megglé, 1998, p.48).

  • Il étudie les modifications hypnotiques des perceptions (vision, audition, mémoire, écoulement du temps).

  • Il développe et raffine les procédures d'induction.

  • Il démontre l'effet inductif de la confusion.

  • Il étudie et décrit les états somnambulique de l'hypnose comme des états dans lequel le sujet fonctionne, librement et confortablement, à un niveau purement inconscient.

      Il s'axe radicalement sur la thérapie dès son arrivée à Phœnix en ouvrant son cabinet libéral. Il perd en moyens, gagne en liberté. L'hypnose lui a appris que chaque personne est unique, qu'elle est douée de ressources souvent ignorées d'elle-même et qui peuvent être activées s'il existe une véritable coopération, thérapeute - sujet. Cette coopération apparaît dès lors que le praticien accepte le comportement du patient et sa vision du monde, tels qu'ils sont, sans les contester. Il peut ensuite les utiliser dans un sens constructif.

     L'inconscient est considéré comme le protecteur de la "personne globale" et travail plus active ment à ses attentes que le conscient. Il se met donc à développer encore plus la communication indirecte, peu ou pas perçu par le conscient. Il induit des idées thérapeutiques à tout-va. Chaque mot, intonation, temps de verbe, structure syntaxique sont réfléchies (langage analogique) et inclues dans une conversation mondaine ou banale.

      Erickson veut de l'action, car l'action est expérience, et que seule une expérience nouvelle peut modifier les précédentes (phénoménologie). Par la communication d'idées, de points de vue, de sentiments, d'émotions... au patient, il veut que celui ci devienne impatient d'agir pour lui même. "Consciemment, nous tendons à nous restreindre alors que notre inconscient sait ce qui est le mieux pour nous parce qu'il est le dépositaire de nos ressources. L'hypnose est libération de nos potentialités latentes".

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